À quoi ressemblait l’attente de l’autre, hier ? Comment se vivait-elle avant que l’écran ne devienne le réceptacle de nos humeurs et de nos émotions, avant que les réseaux ne répondent artificiellement au manque et ne pervertissent l’absence ? Je m’enfonce dans le canapé en écoutant les premières notes d’une célèbre comptine. Je crois que je n’ai même pas vu la nuit tomber. Une lueur venue du bas de la rue éclaire le bouquet de fleurs posé sur la table basse. Je le regarde, hébétée, comme une vieille dame qui voit fleurir son dernier printemps. À côté du vase sont posés deux livres. Le destin tragique de deux amants d’Éric Naulleau, Ruse, et les égarements existentiels et amoureux de Christian Bobin, L’inespérée. On lit ce qui nous ressemble. Sur la couturière, deux exemplaires du dernier roman de Philippe de Villiers La Valse de l’Adieu , côtoient Le jeu de la France de Philippe de Saint Robert. On s’entoure de ceux qu’on aime. On se contente surtout de ce qu’il reste. On s’accroche à ce qu’on peut en regardant l’horizon décliner. Ce soir, le salon ressemble à ce cœur en friche. On y distingue plus que des silhouettes à l’agonie errant dans un univers trop sombre. Puis un reflet vient foudroyer le désarroi. C’est « ce qu’il reste ». La frange d’or. La France, encore. Et nous voilà devenus les « malgré nous » du nouveau monde. Condamnés à l’exil intérieur, à reconstruire en soi ce qui s’effondre dehors, puisqu’il nous faut survivre dans un monde devenu laid. On ne survit pas à la laideur. On s’enlaidit et on en meurt. Reste donc cet exil, cette espérance acharnée, ce songe, cette évasion amoureuse. Ces émerveillements irrationnels, cette mélodie jouée dans un champs de ruines. Je veux écrire cette épopée de l’âme. Une tragédie héroïque où le Beau serait roi, où la France serait reine. Je veux vous livrer ces instants dérobés à la fureur du temps, ces paysages, ces rencontres, ces regards, ces parfums, ces amours mortelles, ces tragédies éblouissantes. Ce qu’il reste.


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