Le dernier panache

Le soleil frappe les champs à peine moissonnés et les pâturages en friches. Les machines tournent, les brebis tirent la langue, deux jeunes agriculteurs se sont endormis à l’ombre de leur tracteur, dans l’herbe sèche… Une version contemporaine de Monet. Je m’échappe à travers la plaine, sur ces chemins que je connais par cœur. Fatalement, donc, cette évasion est un échec. Mais si mes pas tiennent la route avec une redoutable constance, mon regard, lui, a déjà dépassé l’horizon. « À quoi bon marcher, il n’y a rien de beau derrière… » L’instinct fait face à la dissidence. Je voudrais m’arrêter là mais mes jambes m’entraînent vers ce destin qui m’insupporte. Mon âme s’est évanouie sur le bord de la route. Et je doute qu’un bon Samaritain ne lui vienne en aide. « Passez votre chemin, il n’y a plus rien à en tirer. Sa seule richesse, c’était la France… »

Nous sommes le 5 août 2023. Hier, nous avons quitté les pâturages bourguignons pour le bocage vendéen. Le sol est humide, le soleil boude mais au Puy du Fou, les genêts sont en fleurs.

En renouvelant ma visite au Puy du Fou, je crains de ne pas être touchée par cette mélodie jouée au fil du temps, par ce feu ardent qui embrase nos cœurs et fait frémir nos âmes d’enfants, par ces parades de héros qui nous indiquent le chemin des plus nobles espérances… J’imagine même quitter ces lieux comme on quitte vulgairement un office en faisant valser la petite porte grinçante du fond de l’église sous des regards inquisiteurs, lassée d’entendre monter les mêmes prières vers un ciel HLM dans lequel se battent tant de dieux. Ce que j’espère pourtant, c’est redevenir la petite apatride des années précédentes. Celle qui se retourne après avoir franchi la frontière en réalisant qu’elle pourrait tromper son drapeau pour d’autres armoiries. Celle qui regarde tristement l’horizon décliner en pensant que demain, le jour se lèvera de nouveau, oui, mais sur un monde devenu si laid qu’elle préférerait retenir la nuit.

Tandis que ma famille se dirige vers le Bal des Oiseaux fantômes, Philippe de Villiers m’appelle : « Venez au Manoir de Charette, il faut que je vous montre quelque chose. » Je m’exécute. Il est 15h30, le soleil apparaît enfin.

Une voiture s’arrête sur le parking du Manoir. Je m’installe à l’avant : « Vous m’enlevez ? » Philippe sourit et m’annonce : « Je vous emmène là où personne ne peut encore aller. » La route se change rapidement en chemin rocailleux puis en allée de terre. Et soudain, une annexe du paradis.

Philippe amorce une manœuvre dans les fourrés d’un terrain vague : « Vous voyez, là, c’est vraiment le bocage vendéen ! » Au volant de sa Citroën, le créateur du Puy du Fou arpente le nid de son futur spectacle, une nouvelle page d’Histoire inscrite dans la légende puyfolaise. « Ce ne sera pas avant 2027, précise-t-il, mais le projet est fou ! » Niché dans un écrin d’arbres centenaires, un étang se révèle et donne à ce lieu tout « le romantisme » voulu par Philippe. « On accompagnera les formes du terrain » dit-il en suivant de la main les courbes du vallon.

Depuis sa création, en 1989, le parc ne cesse d’accroître sa superficie et poursuit son œuvre à travers des spectacles originaux. À l’aube de la saison 2023, les équipes du Puy du Fou annonçaient justement l’inauguration d’un nouveau projet à 20 millions d’euros, Le Mime et l’Étoile. L’histoire se déroule aux prémices du cinéma muet dans un décor en noir et blanc où évoluent 120 acteurs devant une estrade de 2000 spectateurs. Et soudain, les studios boisés se changent en promenade parisienne entre les colonnes Morris et les vieilles enseignes. Le décor ne se fige jamais, des véhicules se fraient même un chemin entre les danseurs et les badauds… L’innovation technique épouse le récit et le résultat est impressionnant.

Retour au terrain vague. « Dans quelques années, lorsque vous reviendrez ici, vous vous souviendrez d’où nous sommes partis », sourit-il en portant son regard vers l’étang, les chaussures trempées, traînant ses vieilles semelles entre les ronces et les herbes folles. En attendant, Philippe de Villiers poursuit ses repérages et puise en ces terres l’inspiration de ses prochains spectacles, ces témoignages d’amour, de lumière et d’esprit.


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